Les larmes de maman

Jeudi 2 septembre, 9h02.

Je pleure sur le parking de l’école.

Pour la deuxième année consécutive.

Je me fous des baffes à l’intérieur. Et en même temps je suis hyper fière de moi parce que j’ai fait très exactement 6 mètres de plus que l’an dernier avant de m’effondrer comme une grosse merde.

Peut-être qu’à la rentrée du CM2 je commencerais à pleurer une fois arrivée à la maison.

Pendant que deux mamans et un papa me consolent je me demande qu’est ce que c’est que ce torrent qui sort de mes yeux.

Comment moi, la meuf qui se demande un jour sur deux si elle est devenue maman parce qu’elle voulait vraiment un enfant ou parce que la société le lui a fait croire toute sa vie, j’en suis là? Alors que j’ai mis le champagne au frais il y a trois semaines pour me la coller en un temps record parce que « youpiiiiiiiiii l’école a repris!!! ». Moi qui pensais sortir de l’école ce matin en chantant « libérée délivrée » et aller à ma voiture en moonwalk.

Qu’est ce qui a bien pu m’arriver?

« Pourquoi elle pleure maman? »

Dans mes larmes ma chérie il y a la tristesse de savoir que pour la deuxième année consécutive tu ne verras pas le sourire de ta maîtresse parce que depuis plus de la moitié de ta vie maintenant on est en pandémie mondiale de mes deux.

Dans mes larmes il y a la culpabilité de t’avoir fait naitre dans un monde qui part en couilles et où je ne peux pas te protéger. Alors que tous les signes étaient présents pour me dire que c’était une mauvaise idée je n’en ai fait qu’à ma tête et je n’ai écouté que mon égoïsme. Maintenant tu es là, tu es ce que j’ai de plus précieux et je suis incapable de te parler d’avenir parce que je suis persuadée qu’il sera pourri. Et pas très long. C’est merveilleux.

Dans mes larmes il y a le regret de ne pas avoir écrit de « lettre à ma fille » cette année pour la fête des mères. Parce que je ne me le sentais pas tellement c’était dur à la maison à ce moment là, parce que les « terrible two » battaient leur plein. (En passant mon petit cœur, je te rappelle que tu vas avoir 3 ans dans quelques jours. Il va vraiment falloir que ça cesse ces fantaisies!). Cette lettre d’amour que j’ai pris l’habitude de t’écrire tous les ans cette année je n’ai pas pu. Quelle maman horrible renonce à une tradition mignonne parce que son enfant l’a « un peu tendue ces derniers temps »? Je me foutrais des gifles à tour de bras…

Dans mes larmes il y a la colère après moi même parce qu’au mois de juillet, quand tu nous a vraiment rendu fous avec ton père, je n’ai pas été assez patiente, assez bienveillante, assez résiliente, assez inventive, assez à l’écoute, assez Montessoriste ni assez yogiste. Quand ma meilleure amie m’a dit « elle s’affirme? » j’ai répondu « oui ». Parce que je suis polie. Mais en vrai je pensais « non elle s’affirme pas, c’est la réincarnation de Satan, je sais plus quoi faire, je suis à deux doigts de lui jeter de l’eau bénite à la tête, y’en a une de nous deux qui finira pas l’été c’est pas possible ». Et là tout de suite maintenant sur le parking de l’école avec le nez dans mon mouchoir je donnerais n’importe quoi pour que tu me tapes un caprice de l’espace au milieu du supermarché. Je me déteste.

Dans mes larmes il y a le sentiment que tout ce que j’ai pu faire avec toi au mois d’août (quand tu t’es détendue de la feuille et moi aussi) ne rattrapera jamais ce mois de juillet pérave. Même si on l’a passé collées l’une à l’autre et qu’on a fait 1000 trucs. Tu ne t’en souviendras sûrement pas mais moi je sais. Je sais que j’ai trop crié, que souvent mes mots ont dépassé mes pensées, que j’ai repleuré sous la douche, que j’ai dû faire plus de pauses clopes que d’habitude et que j’ai souvent avancé l’heure de l’apéro. Je le sais et je m’en veux. Parce que c’est pas de ta faute. C’est moi qui ai fait un enfant avec quelqu’un qui a autant de caractère que moi. Comment j’ai pu penser que ça pourrait faire un enfant facile?

Dans mes larmes il y a toutes les semaines qui arrivent où nous n’aurons plus que les mercredis, samedis et dimanches. Et même si je sais que j’ai la chance de passer beaucoup plus de temps avec toi que la plupart des parents (je dis chance mais je pense choix, en vrai.) tu me manque déjà. Je ne sais pas comment font ces gens qui n’ont qu’une poignée (je dis poignée mais je pense pincée, en vrai) d’heures par jour avec leurs enfants…

Dans mes larmes il y a le temps qui ne finit pas d’accélérer depuis que tu es sortie de moi. Il y a l’été qui est passé à toute vitesse. Même si des fois je comptais les jours qui nous séparaient de la rentrée. Il y a tous tes habits qui deviennent trop petits à vue d’œil et mes rides qui se creusent. A vue d’œil aussi. Il y a tous les petits moments merveilleux qu’on ne revivra jamais. Même si on en vivra plein d’autres…

Dans mes larmes il y a toutes les premières fois qui sont aussi les dernières.

Ce matin tu es arrivée à l’école contente d’y retourner, avec ton petit cartable hérisson sur le dos et ta vache dans les bras. Il y avait de la musique dans la cour de récré et une table avec du café et des gâteaux. Tu as posé ton cartable, tu as pris un sucre en nous disant qu’aujourd’hui tu étais un poney, tu as demandé à ta maîtresse si tu étais obligée de t’appeler Maxine à l’école et tu es partie danser à coté du poste. Je t’ai regardé de loin le nez dans mon café. J’avais l’impression que tu avais doublé de taille dans la nuit. Quand on est parti avec papa on t’a dessiné un cœur et un lapin sur les mains, on t’a fait un bisou et un câlin, tu n’as pas pleuré, je me suis retenue, le plus longtemps possible.

C’est dur de te voir grandir. C’est dur de te laisser grandir. Sans te retenir. Sans te freiner. Sans t’empêcher.

Aujourd’hui maman pleure mais ce n’est pas grave. Maman n’est pas triste. Maman est juste émue. Et fière.

Fière de ce que tu es en train de devenir. Et fière d’arriver à te laisser partir.

Ce soir on viendra te chercher, tu nous sauteras dans les bras et tu laisseras ta tête dans mon cou juste un peu plus longtemps que d’habitude. Tu nous racontera ta journée puis tu diras « bon, maintenant je m’appelle plus Maxine, je m’appelle Chita. On va boire un coup? ».

Et tout ira bien dans le meilleur des mondes. Notre monde.

Va ma fille. Vis ta vie. Deviens ce que tu veux devenir. Apprends tout ce que tu peux apprendre. Découvre tout ce que tu dois découvrir. Voyage aussi loin que tu le peux.

Tout ira bien.

Maman ne sera jamais loin.

(Et elle aura toujours des mouchoirs.)

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