Je sais pas vous mais moi y’a pas mal de trucs que j’ai commencé pendant le confinement et que j’essaie de garder depuis.
De ces petites choses qui rendent heureux et aussi de celles qui changent vraiment qui on est, qu’est ce qu’on fait et quel message on envoie au monde, mais surtout, qu’est ce qu’on apprend à nos enfants.
Alors y’a plein de petits trucs fastoches qui ont pas du tout été compliqués à continuer (une fois que le déménagement a été fini), genre: prendre encore plus de temps pour regarder Maxine grandir, faire mes yaourts, faire mon pain, consommer différemment, faire une promenade par jour, faire pousser de la bouffe dans mon jardin…
Et puis il y a les autres.
Enfin un truc en particulier.
Moi, pendant le confinement, j’ai arrêté de porter des soutien-gorge.
Et à la minute où on nous a dé-confiné j’en ai remis.
Comme si j’étais obligée.
Sauf que je les supportais plus.
Et depuis je me bats avec moi même. Et avec mes soutifs. Mais surtout avec moi même.
Alors, déjà, pourquoi j’ai arrêté?
Parce que je n’allais nulle part, j’étais toujours à la maison, je ne me sentais pas obligée d’en mettre et surtout parce que, putain, on est vachement mieux sans. (Ce qui soulève maintenant plein de questions dans ma tête sur le pourquoi du comment je me sentais obligée d’en mettre et comment déconstruire toutes ces représentations dans ma tête pour assumer pleinement de me promener avec les nénés libres).
Ensuite, pourquoi j’en ai remis pour ressortir de la maison?
Parce que comme beaucoup de femmes j’ai imprimé, sans m’en rendre compte et depuis très longtemps, que ça fait partie de la panoplie, qu’on ne doit pas voir mes tétons, que mes seins doivent rentrer dans un espèce de moule, certes très joli, mais pas toujours confortable, et que si je n’en mets pas, je vais me faire siffler ou passer pour une fille facile et que ça sera mérité. Mais en même temps qu’ils doivent être positionnés parfaitement et de manière bien égale, bien en vue, au milieu de mon torse avec, si possible en plus pour ces messieurs, un peu de dentelle et de froufrous autours. Déjà rien que ça y’a de quoi devenir schyzo. C’est bien le bordel.
Enfin, pourquoi j’en parle aujourd’hui?
Parce que j’ai à la maison une petite fille qui va un jour devenir une femme. Dans un monde où on pourrait croire que tout va bien et que la femme est l’égal de l’homme mais où, en fait, quand on y regarde de plus près, c’est pas trop ça. Et les représentations ont la peau dure. Alors oui c’est sûr, nous les femmes Françaises on a la vie plus facile que les Iraniennes par exemple. Est ce qu’il faut pour autant fermer nos gueules? Non je ne crois pas. Je pense que l’on ne peut pas se contenter de ce que l’on a quand ça pourrait être mieux sous prétexte que c’est pire ailleurs. Je passe ma vie à me demander comment élever Maxine au mieux et lui transmettre les bons trucs pour qu’elle soit une femme forte et libre. Et du coup je trouve que c’est pas hyper top cohérent de commencer par « oui oui ma chérie, vas y, assumes toi, sois libre, oui oui, vas y éclates toi, mais pendant ce temps maman va aller mettre un soutien gorge parce que faudrait pas qu’on la prenne pour une fille de mauvaise vie ».
Haaaaaaaaaa l’oppression patriarcale qui s’insinue jusque dans nos tiroirs à lingerie. On en écrirait des livres et des livres. D’ailleurs je crois que c’est déjà fait. Mais alors pourquoi est ce que rien ne change?
La réponse est la même pour tout je crois. Parce qu’on ne change pas la manière dont on éduque nos enfants. Ou pas assez en tout cas.
Du coup moi j’élève ma fille pour en faire une féministe et je fais des prières pour que les parents qui élèvent des petits garçons là tout de suite maintenant aillent dans le même sens. Mais j’ai des doutes.
Bref. Revenons à nos nichons.
Je me souviens encore de mon tout premier soutien gorge. C’était il y a une vingtaine d’années. Les autres filles au collège commençaient à en mettre, j’en ai voulu un. J’avais quasiment pas de seins mais j’ai pas réfléchi. (Ça n’étonnera donc personne que deux ans plus tard quand elles ont commencé à fumer j’ai été m’acheter un paquet de Lucky par 10 et j’ai commencé aussi).
Ma maman m’a amené chez Etam, j’en ai choisi un, il était bleu marine, avec de la dentelle au bord et des petits nœuds sur les bretelles. C’était du 75A, je m’en souvenais parce que c’était l’inverse de l’autoroute qu’on prenait pour aller en vacances, j’étais trop fière, personne le voyait mais moi j’avais l’impression que ça faisait une énorme différence (ben oui, pensez vous, avec toute cette poitrine!), j’étais devenu une femme.
Avec le recul je me dis que j’étais juste bête. J’ai aussi été contente quand j’ai eu mes règles, c’est vous dire. Quand on voit le bordel que c’est.
La grosse différence c’est que ma mère m’avait prévenu que les règles c’était chiant. Pour le soutien gorge elle m’a rien dit. Ce qui est assez bizarre quand j’y repense parce qu’en maternelle ma maitresse de moyenne section me disait « toi ta maman elle brulait ses soutien-gorges dans les années 70 ». Je crois que c’était sa manière à elle de me dire que ma mère était moitié hippie moitié féministe et moitié révolutionnaire. (Oui le total fait plus de un mais ma mère est bien plus qu’une femme).
J’en veux pas à ma mère, elle était déjà très occupée à essayé de m’inculquer que pour être une femme libre il me fallait un métier, être indépendante financièrement, avoir mon permis, que le salut de la femme était dans la sororité et qu’il me fallait donc une solide bande de copines, et que je n’avais pas besoin d’un homme pour être validée par la société mais que, par contre, j’allais devoir me battre pour le faire entendre à pas mal de gens.
Je comprends pourquoi elle a sauté le chapitre sur les soutifs.
Bref.
Comme je vous le disais, au dé-confinement j’en ai remis. Alors comme je vis dans la forêt et que je ne travaille que deux jours par semaine c’était pas la mort non plus. Genre pour aller faire les courses j’en mettais pas. Ça ne me dérangeait pas. Mais si quelqu’un me parlait un peu près je croisais les bras sur ma poitrine. Au cas où. Cachez ces seins que je ne saurais voir…
Par contre au boulot et avec mon entourage proche je n’y arrivais pas. Comme si l’image que les gens avaient de moi allait changer du tout au tout juste parce que je ne mettais plus de soutifs.
Au boulot, au début, je le mettais pour y aller, je l’enlevais une fois que tout le monde était couché puis je le remettais juste avant que mes collègues du matin arrivent.
Puis un matin j’ai oublié de le remettre. Et mon collègue n’a rien dit. Je crois même qu’il ne s’en est pas rendu compte. En tout cas il a pas essayé de me pé-cho dans le bureau. Du coup j’ai arrêté d’en mettre pour de bon. Mais je mettais une chemise ou un gilet par dessus mon teeshirt en début de nuit et sur le matin. Parce que j’ai bien vu que les rares fois où j’avais juste un tee shirt y’a une ou deux personnes qui me regardaient pas que dans les yeux. Majoritairement des femmes d’ailleurs… Parce qu’apparemment à force d’être opprimées par les hommes on a fini par s’opprimer entre nous. Et, honnêtement, je crois qu’on est pires qu’eux. Que celle qui n’a jamais traité une autre femme de salope ou de pétasse, simplement basé sur sa tenue vestimentaire ou la manière dont elle avait choisi de vivre et assumer sa vie sexuelle, me jette le premier string.
Avec mon entourage je commence à m’y faire. Mais pareil, au début quand on voyait du monde je demandais à Arnaud « ça va? On voit pas trop? Ça fait pas indécent? ». Je pouvais pas m’en empêcher. (Et donc je demandais à mon homme de valider mes choix pour moi, c’est sans fin, je m’en arracherais les cheveux tellement c’est compliqué.)
Le plus gros du déblocage a eu lieu dimanche à midi quand on en a parlé avec ma copine Audrey, la meuf la plus féministe que je connaisse, qui elle aussi avait arrêté d’en porter quand on était confinées puis en a remis sans réfléchir après. Alors qu’elle se sent mieux sans. (Oui, parce que, qu’on soit bien d’accord, je suis pas en train de dire que TOUTES les femmes devraient arrêter d’en porter pour toujours, je dis juste qu’on devrait pouvoir choisir sans devoir se battre avec nous même. Et sans se faire siffler dès qu’on a les tétons qui pointent. C’est tout.) Et y’avait nos chéris avec nous. Et Arnaud a dit un truc très intéressant.
Il a dit que ce serait mentir que de dire qu’il est pas content quand il voit un téton à travers un tee-shirt et que, lui, ne souhaite pas qu’on dé-sexualise complétement les seins, comme le souhaiteraient certaines féministes, mais que par contre, il n’émet pas de jugement sur la femme en question, et surtout, qu’il n’estime pas que ça l’autorise à aborder cette femme sur le principe que si elle a les nénés libres c’est une fille qui cherche ce genre d’attention.
Le chéri d’Audrey a dit qu’il était tout à fait d’accord.
En gros nos mecs ont dit qu’il savaient se tenir.
Et moi j’ai eu un déclic.
Le problème c’est pas le fait que j’ai des seins et qu’on risque de les voir. Le problème c’est que certaines personnes sont mal éduquées. Voir pas du tout.
Donc depuis hier je vais au boulot sans soutif et sans rien par dessus. Et ce weekend on a du monde à la maison et j’en mettrais pas non plus.
- Je suis une femme, j’ai des seins, c’est comme ça. Je n’ai pas à les cacher ou les mouler si je n’en ai pas envie.
- Messieurs, si la vision de mes tétons vous émoustille tant mieux, moi aussi quand je vois une belle paire de fesses sur un mec ça me fait plaisir et ça égaie ma journée.
- En revanche, si cela vous mets dans un état où vous ne pouvez pas réprimer votre désir, ou qui vous pousse à l’exprimer de manière totalement inadaptée, c’est votre problème pas le mien. Et je vous conseille d’accepter mon refus ou préparez vous à prendre mon genou dans les noix. Ou mon poing dans la gueule. Ça dépendra de mon humeur sur le moment. Et contrairement à moi, vous l’aurez bien cherché.
- Mesdames, si deviner mes tétons à travers mon tee-shirt vous fait penser que je suis une salope ou vous donne envie d’attacher votre homme au cas où, encore une fois, c’est votre problème pas le mien. Si vous jugez les femmes à leur tenue vous ne valez pas mieux que tous les connards qui voudraient nous enfermer à la cuisine. Et si vous pensez vraiment que votre homme va partir pour si peu, posez vous les bonnes questions. Avez vous choisi de partager votre vie avec un gros queutard? Encore une fois, ce n’est pas mon problème.
- Et si, vraiment, VRAIMENT, la vision de ces deux petits bouts de chair vous est insupportable, je vous propose de faire comme avec le racisme, l’homophobie ou la pauvreté: regardez ailleurs. D’avance merci.
Moi, pendant ce temps, j’ai gagné
- En temps: une minute par jour à l’habillage, un peu plus quand le débardeur demandait l’essayage de trois soutifs différents avant de trouver le bon. 5 minutes quand j’étends la lessive parce que les bretelles ne font plus de nœuds avec les jambes des pantalons. (C’est tellement galère ça que ça devrait être une épreuve à Fort Boyard.)
- En argent: on peut parler du prix du mètre carré de la lingerie féminine? C’est pire que l’immobilier à Paris sérieux!
- En tonus musculaire et même un peu en masse de miches. Vous le saviez qu’en fait c’est des grosses saucisses quand on nous dit que si on en met pas on va avoir les seins qui tombent et qu’en fait on a les seins qui tombent PARCE QUE on met des soutifs? Encore une connerie inventée par les hommes pour nous contrôler. (Article très très très intéressant par ici: https://freetheboobies.fr/comment-le-soutien-gorge-fait-tomber-les-seins.php )
- En confort: je sais même pas comment vous dire. Je vous conseille juste d’essayer.
- En cohérence. Et je vais déjà bien assez galérer quand je vais devoir expliquer à Maxine qu’il ne faut pas fumer, que boire c’est pas top et que les tatouages c’est addictif. J’entends déjà ses « ouais mais toi tu le fais! ». Là dessus au moins ce sera plus facile. (Encore une fois, je ne vais pas lui dire qu’elle ne doit pas en porter, juste qu’elle n’est pas obligée et qu’elle fait ce qu’elle veut). Maintenant faut juste que j’arrive à me sortir de la tête que je dois me faire refaire les seins parce qu’avant d’être maman je faisais du D et que depuis la fin de l’allaitement je fais plus que du B et je serais au top de la cohérence sur le « ma fille tu es parfaite exactement comme tu es ». Et que j’arrête de me teindre les cheveux (dis la meuf qui vient ENCORE de changer de couleur pas plus tard que la semaine dernière…)… Ouais, on est pas sortis du sable!
Et dès que je trouve le courage (parce que même si ça peut avoir l’air hyper futile c’est quand même pas rien comme cheminement personnel de se détacher de ce truc) je fais un feu de joie au fond du jardin, ça me libérera un tiroir pour y ranger d’autres choses et Maxine arrêtera de jouer avec. (Ça me fait trop bizarre quand elle en enfile un et qu’elle dit « wouaaaaaaaaa, beauuuuuuuuuu », ELLE A PAS DEUX ANS PUTAIN!).
Pour finir, si vous êtes un peu intéréssé(e)s par le « no bra » mais aussi le féminisme et la libération de la femme et de son corps de manière plus générale, je vous conseille le compte Instagram de Camille, « je m’en bats le clito », non seulement elle est fabuleuse mais en plus elle est trés, trés, trés drôle! La première fois que j’ai découvert sa page j’ai tellement ri que je suis tombée de ma chaise. True story.
Elle a aussi écrit un bouquin: https://livre.fnac.com/a13380577/Camille-A-Je-m-en-bats-le-clito
Et participé à une émission sur France Inter y’a pas longtemps que je vous conseille aussi: https://www.franceinter.fr/emissions/l-ete-comme-jamais/l-ete-comme-jamais-14-juillet-2020-0
Et sur Insta elle poste des petits messages tout simples mais très drôles où on se reconnait tout le temps. Mon favori du moment étant celui là:

A bientôt mais je sais pas quand, mes tétons et moi même sommes en congés à partir de là tout de suite maintenant et on compte bien en profiter.
Allez, bisous hein!